L’Oreille cassée (saison 2)

DEUX ANS SE SONT ÉCOULÉS

DEPUIS LA PREMIÈRE OPÉRATION

Nous sommes en novembre 2015.

Depuis 2 ans, il faut bien avouer que ce piston a bien rempli son rôle. Mon oreille droite a retrouvé un taux d’écoute suffisant pour m’obliger à entendre toutes les …. qui peuvent se dire.

J’aurais tant aimé un « piston sélectif» capable de traiter différemment toutes les vibrations reçues et ne faisant parvenir au cerveau que celles pré-sélectionnées. Hé non, impossible d’éviter les Zemmour, Morano, Marseillais, Anges, Trump…  (la liste est longue).

Mais alors que mon oreille droite retrouvait une seconde jeunesse, l’oreille gauche, jalouse d’avoir été délaissée, se mettait à déchausser (expression utilisée pour les cavaliers lorsque l’étrier fout le camp), faisant remonter à ma mémoire les mot prononcés lors de notre première rencontre par le Professeur J.K. : «  Vous souffrez d’une otospongiose bilatérale avec une forte dégradation à droite».

Le mot clé était « bilatérale» qui sous-entendait que le problème n’était pas de droite (et pourtant !!) mais aussi à gauche (tout se perd, mon brave monsieur).

Durant deux ans, chaque audiogramme délivrait le même verdict : la déchéance de tonalité pour mon oreille gauche.

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En ce petit matin d’automne 2015, le verdict tomba : Monsieur K. il serait bon d’envisager une opération de l’oreille gauche avant que la situation ne devienne plus compliquée : préparez-vous à être « stapédectomiser à nouveau». Ce qui se traduisait par « attendez-vous à recevoir dans votre oreille gauche un second piston qui vous fera passer de mi-bionique à bionique total».

Un peu comme ci dans un jeu vidéo, je passai au stade supérieur et qui sait au stade ultime.

L’opération fut programmée

au mercredi 30 mars 2016….

Avant l’opération

L’hiver passa, sous un climat clément (aucun intérêt pour l’histoire, c’est uniquement pour planter le décor et pour me la péter avec une allitération).

Quelques examens furent pratiqués : prise de sang, audiogramme, scanner des rochers (les miens pas ceux de Suchard) montrant que mon corps était prêt à subir ce nouveau traumatisme.

Arrivé à la mi-mars, la visite auprès de l’anesthésiste le Docteur Leblanc (Lenoir eut été plus adapté !!!) fut la dernière étape du chemin qui me conduisait inexorablement vers la table d’opération……

Il ne restait plus qu’à patienter et à ne pas trop cogiter.

Le 17 mars 2016 j’offrais à celui qui fut mon partenaire dans tant de concerts inoubliables, une dernière occasion de goûter au doux plaisir du live, LA MAISON TELLIER à LA CIGALE. Bientôt, nos chemins, le mien et celui de mon étrier gauche, se sépareront à tout jamais, aussi laissons-le profiter (et toi aussi) d’un dernier moment de plaisir :

 

J-7

J’entame la dernière ligne droite.

C’est le moment de réfléchir si tout est prêt.

Réfléchir, c’est le mot clé car évidemment impossible d’aborder cet événement sans travailler du chapeau. Subir une intervention chirurgicale n’est pas sans risque et un esprit cartésien ne peut s’empêcher d’analyser les différentes hypothèses.

Afin d’obtenir mon consentement éclairé (expression pour signifier : t’as compris que tout peut arriver et tu signes, garçon !!), le chirurgien m’a fait une liste des risques encourus.

Commençons par la perte de goût. Hé oui, je sais ce n’était pas évident d’y penser pour une opération de l’oreille… Et pourtant, pour jouer de mon étrier, il faut décoller le tympan, et déblayer le terrain, c’est à dire déplacer légèrement le nerf qui donne au cerveau les indications nécessaires à reconnaître  un cassoulet d’une choucroute. Ce déplacement a le don d’énerver ce nerf qui par réaction se mettra en grève pour une durée indéterminée pouvant durer quelques mois. Par chance, cela n’affectera que la partie gauche de mes papilles (cela ne m’étonne pas de la gauche de se mettre en grève pour rien…c’était pour rire… il y a deux ans c’est mon nerf de droite qui m’a planté et du coup impossible pendant 5 mois de différencier le caviar et le homard… c’était pour rire !!).

Deuxième risque opératoire, la présence de vertiges (réaction de l’oreille interne car excitation du vestibule cochléaire… je frime avec des mots savants mais c’est pour t’instruire, profites-en). Depuis toujours j’ai le vertige quand je suis en hauteur. Alors si on rajoute des vertiges au niveau du sol, je crois que je vais louer une cave. Peut-être qu’en sous-sol, j’arriverai à survivre.

Et je continue, le piston peut mal se positionner et là, c’est l’échec total et on n’entend plus rien ; j’ajoute les risques de bourdonnements, le risque de paralysie faciale durable ou temporaire, entendre des voix à Domrémy, ne pas entendre un ministre annoncer une augmentation des bas salaires de 25%, la baisse de la durée légale du travail à 32h, un revenu pour tout adulte non lié au travail, un impôt international sur les entreprises optimisantes fiscalement, un impôt sur le grand capital.

Vous voyez, c’est pas gagné !!

Et j’oubliais les risques liés à l’anesthésie générale.

Et j’oubliais le risque de tomber en panne dans l’ascenseur de mon immeuble le matin en partant à l’hôpital, de glisser sur une dalle mouillée, d’avoir une grève dans le RER, de me faire voler l’ enveloppe contenant mon précieux scanner par une bande de migrants drogués supporters du Paris Saint Germain, une panne électrique générale sur Paris, une chute de mon chirurgien dans l’escalier….

Faut que je me calme car je crois que je commence à angoisser un peu. Pour me calmer, le plus simple c’est d’écouter un maximum d’ artistes que j’aime. C’est peut-être la dernière fois que je les entendrai en stéréo (ça recommence !! un peu d’optimisme K. le meilleur est à venir… deux belles oreilles tournant à plein régime).

Je t’en offre un. Le Grand Alain BASHUNG reprenant la chanson BRUXELLES de Dick ANNEGARN… je t’explique pas mon choix…

 

OH MON PISTON

J’ai aussi une pensée pour ce piston qui comme moi doit préparer son opération. Sa vie actuelle ressemble à celle d’un petit ours hibernant. Depuis sa fabrication, il traîne son teflon, inerte dans un sachet plastique stérile. Aucun contact avec l’extérieur, il attend son heure… et celle-ci va enfin arriver. Dans quelques heures, sa vie va changer du tout au tout. Sortant enfin de sa coquille, il va se mettre à vibrer (rappel : la fréquence de la note La est de 440 Hz soit 440 vibrations à la seconde). Tout son allant de 20 à 20 000 Hz provoquera chez lui une vibration, qu’il recevra de sa nouvelle copine, l’enclume, et qu’il transmettra (en tout cas je l’espère) à mon oreille interne qui renverra vers mon cerveau cette précieuse information.

Autant dire que je suis très heureux de lui permettre de s’insérer enfin dans la vie active, même si la cadence de travail que je vais lui imposer relève plus du stakhanovisme que d’un plan pépère. En même temps, je lui offre un CDI directement…

J’aurais aussi envie de vous dire que j’aimerais savoir si un des atomes de ce piston est en intrication quantique avec un  atome d’un autre piston, ce qui fait qu’après l’opération, moi aussi je serai peut-être en intrication quantique avec un autre humain ayant subi le même sort que moi… mais j’arrête là car je sens que je vais vous faire chier très vite. Je garde ça pour moi… et mon pote LE PISTON.

Ah PISTON pense aux magnifiques vibrations qui t’attendent :

 

LE JOUR J : MERCREDI 30 MARS 2016

 

Et c’est parti….

 

5 heures : se lever ;  pas manger car à jeun devoir être ; se laver à la Bétadine car aseptisé devoir être ;

5h45 :  partir ; prendre bus, RER puis bus.

7 heures : arrivée hôpital ; passage au secrétariat ; répondre aux questions ; accueil infirmier ; arrivée chambre ; tenue de combat

8 heures : départ vers bloc… Brillant dans sa couverture de survie.

Contact anesthésiste…. surprise ce n’est pas le Docteur Leblanc qui va s’occuper de moi, mais une collègue Tante Clara.

« Bonjour Tante Clara »

« Bonjour toi, K., je vais t’envoyer dans le cloud !!!»

A peine avais-je eu le temps de saluer le Docteur J.K. et son adjointe le Docteur Von Münchhausen, que Tante Clara m’avait cathétérisé, électrodisé, piquousé, masqué et oxygéné… quelques heures plus tard je constaterai par des raclements incessants   qu’elle m’avait aussi intubé. Visiblement, elle devait être très amie avec l’accessoiriste, vu l’arsenal qu’elle déploya en quelques instants.

Tante Clara eut un rôle déterminant dans cette intervention car après plus rien. Mon opération se déroula… sans que je puisse t’en dire plus car pour moi, l’étape suivante fut mon réveil dans ma chambre 2 heures plus tard.

C’est un peu le reproche que je souhaite faire aux scénaristes. Me donner le rôle principal OK ; avant l’opération c’est bon, j’ai quelques répliques savoureuses, j’exprime des pensées profondes sur le sens de la vie, je sens bien le rôle. Et patatras, au moment crucial, je me contente d’un rôle de viande froide, laissant à Tante Clara, Docteur J.K., Von Münchhausen, les infirmiers et tous les autres personnages, la pleine lumière. A ce moment de l’histoire, ils me voleraient presque la vedette. Déjà que je dois partager le rôle principal avec un piston en téflon… A moi de surjouer dès mon réveil pour reprendre la place qui est la mienne !!

Je me réveille : « Oh monde cruel, que toutes les terres du Mordor s’irisent de feux flamboyants, que tous les enfants de Noé prennent la route en suivant l’étoile la plus brillante de l’univers !»

Je pense qu’avec des répliques comme celle-là, le doute ne sera plus permis, c’est bien moi le rôle principal…. « Vous allez bien, Monsieur K. ?? L’opération s’est bien passée, vous êtes revenu dans votre chambre. Vous ne souffrez pas ? Reposez-vous un peu».

Quelques minutes plus tard, reprenant mes esprits, je pus enfin découvrir les stigmates de la lutte qui fut mienne, me selfiant d’un Iphone tenue par une main encore assoupie.

Oh le bel Œuf de Pâques !!

paques

 

Hé non, la réalité fut un peu moins « traditionnelle ».

Jour J

Je dois te préciser que cette photo a été photoshopée pour ce rôle. C’est souvent le cas avec les stars, quelques petites retouches font l’affaire (je sais, tu m’as reconnu, je te dois la vérité… Robocop c’était moi !!).

Le réveil : pas de douleurs insupportables, tout semble normal (je rigole !!). Je n’ai pas de vertiges, je ne souffre pas….

A table !! Une petite collation pour redonner un peu d’énergie à la star qui n’a pas mangé depuis la veille ( je te précise que dans Robocop, j’utilisais une prise électrique pour reprendre de l’énergie et je trempais mon Iphone dans le café).

Comme dans un rêve

La soirée fut calme. Le Docteur J.K. passa me saluer et me rassurer, m’assurant que l’intervention s’était bien déroulée, « comme dans un rêve !!».

Tante Clara passa voir si son endormi s’était bien réveillé et si tout allait bien . J’émis un « oui» métallique assorti d’un « grgrgrgrgrgr » exprimant le traumatisme laissé par l’intubation du jour

Et si tout cela n’était qu’un rêve…

La nuit fut éveillée, impossible de fermer l’œil (décidément plus rien ne fonctionne dans cette tête d’œuf).

Et je passa cette première nuit de double-téflonisé,

la tête pansée dans mes pensées….

 

J+1

Le lendemain matin, aucun nouveau trouble n’étant apparu, je fus autorisé à rejoindre mon domicile, muni du mode d’emploi du nouveau stapédectomisé (ou comment protéger son piston ou comment éviter l’infection ou comment supporter une oreille bouchée).

Tu sais déjà tout si tu as suivi la première saison, mais voici quelques rappels : pas tousser, pas se moucher, éternuer en aspergeant tout le monde, pas forcer potpot, garder un filet à provisions sur la tête, pas de bruits agressifs….

Et surtout ne pas aller aux toilettes avec son filet à provisions sur la tête en pleine crise d’éternuement… sinon tu risques de retrouver ton piston collé contre le mur des chiottes !!

Prochain objectif : rester au calme pendant une semaine jusqu’à la visite de contrôle avec le Docteur J.K.

Quelques amis artistes inspirés par la mode « pirate des écoutilles » figèrent l’instant présent :

Jour J+ PAL Jour J+BLEU Jour J+JAUNEJour J+NEG

 

1ère semaine

Ambiance : la tête bouchée + la fatigue postopératoire + des difficultés à dormir (pas facile avec la moitié de la tête à protéger). Autant dire une semaine calme…

En même temps, c’est aussi le but : permettre à ce piston de s’amarrer tranquillement sur mon oreille interne et à mon tympan de reprendre sa place.

Évidemment je goutte à goutte des antibiotiques car il ne faudrait pas que vienne se développer une nuée de bactéries attirées par cette nouvelle attraction.

RV à J+7

Première sortie : affronter l’extérieur.

Passer inaperçu (mode capuche rappeur banlieue ; ça tombe bien j’aime bien le rap, je te conseille le groupe Binary Audio MIsfits).

Trouver son équilibre ; en tout cas s’assurer que l’oreille interne joue toujours le rôle de balancier qui est le sien et que le liquide (un peu rougeâtre) qui stagne dans mon orifice auriculaire ne modifie pas mes repères spatio-temporels qui sont déjà bien atteints…

« Bonjour Docteur J.K. »

« Bonjour Monsieur K. Comment vous sentez-vous ? »

« Très Bien* Docteur. Pas de douleurs. »            (* voir saison 1)

J.K. se mit à la couture ou plutôt à la découture, laissant une cicatrice aussi discrète que magnifique. Ensuite il extraya de mon conduit un pansement, un peu de nettoyage et un coup d’aspirateur. Heureusement pas de vaisselle à faire, fin des travaux d’intérieur.

Je me permets un petit aparté à ce moment du récit car je sens bien qu’une question te taraude. Dans le paragraphe précédent, tu as dû tiquer sur le mot « découture ». Bingo, il n’existe pas. Mais je n’ai pas trouvé mieux pour relater l’action de défaire les fils suturant la plaie. Parfois, il faut imaginer de nouveaux mots. Je sais que je ne m’en sortirai pas aussi facilement d’autant que j’ai doublé la mise en osant utiliser le verbe extraire au passé simple ce qui n’est pas possible comme tout le monde le sait. Mais pareil, l’action fut brève et passée aussi je n’ai pas trouvé mieux que ce passé simple, alors mes excuses d’autant que je te rappelle que je suis en phase postopératoire et convalescent,

D’ailleurs revenons à nos moutons. Le Docteur J.K. me précisa que pour lui aussi, tout semblait normal. Encore un peu de temps pour laisser le tympan se retendre et laisser toutes les saletés désormais cloîtrées trouver les voies du salut !

Les premiers tests audiométriques montreront dans un mois si l’activité de ce piston sera suffisante pour me remettre en stéréo et profiter pleinement du son du groupe KRAFTWERK (j’ai compris, je t’en offre un extrait juste après).

Mais de retour à la maison, tombant sur un article de Science et Vie sur le développement des objets connectés, je ne pus m’empêcher d’avoir à nouveau une étrange sensation :

Et si ce piston que l’on m’avait greffé dans ma boîte crânienne n’avait pas qu’un rôle interne.

Et si ce piston n’était qu’un instrument aux mains de je ne sais quel groupe cherchant à obtenir des informations et se servant de mon oreille comme d’une parabole tournée vers le monde extérieur.

Cela demande réflexion !!

 

http://kraftwerk.com/concerts/index-livevideo_robo.html